LE RANDORI , pour apprendre à être libre
Procédé d’entraînement et de progression autant que « jeu de combat », la pratique du randori exige du judoka la compréhension intime de cette complexité. C’est l’un des enjeux essentiels de l’apprentissage.
Si on se réfère, encore une fois, à la traduction du terme japonais, le randori est « l’exercice libre ». De fait, le randori porte le double sceau de ces notions apparemment contradictoires : le randori c’est la liberté, mais c’est aussi l’exercice, et sans doute le plus complexe, le plus complet de la pratique du judo.
La liberté bien sûr, car, chacun d’entre nous le ressent, le randori arrive souvent dans la séance comme la récréation suprême, le plaisir après la concentration, l’effort des exercices et de la leçon. Le randori, c’est jouer à se battre dans les règles, c’est le « match », comme en foot ou en tennis. « Et maintenant on fait randori ! » sonne comme une délivrance parfois, en tout cas comme un seuil qu’on franchit dans la séance… et qui nous libère d’elle et de ses contraintes. C’est ainsi qu’on voit souvent des judokas se consacrer avec application pendant toute une séance à des exercices de déplacement et de kumi-kata subtils se précipiter comme des morts de faim l’un vers l’autre pour des corps à corps musculeux, en contradiction flagrante avec ce qu’ils viennent d’étudier. Pourtant, le randori est aussi « exercice » et doit — aussi — être vécu comme tel. Après le tandoku renshu et les uchi-komi, après les nage-komi et le kakari-geiko, le randori, dans la droite ligne de la progression offerte par chacun de ces exercices, offre une dimension nouvelle au service de l’apprentissage, celle de l’opposition raisonnée. Il s’agit de s’opposer au partenaire, mais pas au judo lui-même. La progression, recherchée d’exercice en exercice, consiste à s’élever au-dessus du niveau du lutteur moyen en maîtrisant toujours mieux les déplacements, les rythmes d’attaque, en parvenant à capter toujours plus d’informations sensorielles sur le jeu adversaire pour attaquer avec toujours plus de précision et de fluidité, signe d’une bonne maîtrise des principes fondamentaux du judo.
Combattre pour progresser par le combat dans la maîtrise du combat, au quotidien de la pratique, implique d’être en cohérence avec la séance qui vient d’avoir lieu, en cohérence avec ses propres directions de travail. Cela implique de ne pas craindre chutes et échecs, de ne pas se reposer sur l’acquis ou des postures rassurantes (qui limiteraient les possibilités de progression). Cela implique d’être relâché pour mieux apprendre à l’être ! Cela implique enfin de prendre conscience du partenaire, à la fois dans une perspective d’analyse de ses forces et de ses faiblesses, mais aussi pour lui laisser de la place, en bonne intelligence des choses, pour jouer avec lui avec le respect qu’il mérite… Un enjeu subtil à plusieurs niveaux qui vous laisse le champ assez… libre. Ce que peut-être le randori, en fonction du partenaire, du projet du moment ou de l’envie ? Un yaku-soku-geiko très ouvert, très généreux avec le partenaire jusqu’à un jeu d’opposition intense où on cherchera à placer des obstacles (kumi-kata, rythme d’attaque…) au judo adverse.
Ce que ne doit pas être le randori ? Un jeu où « gagner » et « perdre » aurait une prépondérance sur le reste (il y aurait une confusion avec le combat de compétition), une confrontation fixée par la peur de chuter, verrouillée autour de modes de fonctionnement primaires, ou les bras, l’attitude visent à empêcher au lieu de construire, au détriment d’un travail de fond sur les principes complexes de la discipline qui fondent son efficacité supérieure.
« Aujourd’hui j’étais trop crispé, j’ai joué petit bras car je n’arrivais pas à me relâcher, j’étais trop tendu et je n’ai pas pu lâcher mes coups, je n’ai pas pu déployer mon jeu ! » dit le tennisman au sortir d’un match raté dans lequel il ne s’est pas « libéré ». C’est cette attitude, cette aptitude physique au relâchement — on dit « avoir une bonne proprioception » — qui est en même temps un jeu psychologique (car la tension, la peur, nous empêchent souvent d’utiliser cette maîtrise), que le randori permet d’atteindre en judo. Ce « nouveau naturel » acquis à force de travail et de souplesse dans le combat d’entraînement qui est la base de tous les progrès possibles dans le combat, qui est la base de l’efficacité en randori comme en compétition offre une forme de liberté nouvelle. J’ai souvent entendu dire de la part de compétiteurs très forts et très titrés qu’ils tombaient souvent à l’entraînement car ils recherchaient l’ouverture dans le randori et que cette façon de travailler leur permettait de progresser plus et plus vite que leurs adversaires… Alors, dans le randori, vous aussi profitez de votre liberté pour accéder à une liberté plus grande, celle de la maîtrise.
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